B.S.JOHNSON



Reading B. S. Johnson

B. S. Johnson’s work invites you to confront the checkered history of metafiction, or the self-reflexive, or any of the different and probably equally serviceable terms for art that gapes at itself. I once considered this kind of work to be not only sui generis but also either (a) at the margins of commerce, (b) at the cutting edge of creativity, or© (and this was particularly dear to a young writer yearning to be nobly obscure) both. Not even Moonlighting and Ferris Bueller’s Day Off could knock that bright idea out of my head (though a few years of noble obscurity certainly dulled its lustre), but now metafiction’s everywhere: movies, TV, video games (necessarily), even books—a boom that demands its reevaluation.

I don’t mean the backlash this newfound popularity has bred. The prevailing sentiment is that metafiction’s a kind of trick; an escape from the supposedly more stringent discipline of naturalistic or realistic fiction. That’s not new, but the current variation on the idea finds its fullest expression in some reviews of Dave Eggers’s recent memoir, A Heartbreaking Work of Staggering Genius, which suggest that the only legit excuse for a book’s blatant assertion of itself as a thing, for its author’s obtrusive authority over the text, is the sort of traumatic grief Eggers experienced after the one-two punch of his parents’ successive deaths. In other words, postmodernism (so-called) is so inhuman it may be deployed to hold powerful emotions at bay. (…)

Which brings us to B. S. Johnson. Before his 1973 suicide at thirty-nine, Johnson was a leading light of the British avant-garde. His work was daring and innovative, not merely because of the techniques he developed and his adventurous sense of form, but because to an extent probably unprecedented up to that time, he appeared in his books, both as the disembodied, authoritative, obtrusive narrator familiar to readers of metafiction, and as "the actual character of the artist, living and working at his art," as Morton P. Levitt puts it. This was not a blind of some sort, but characteristic of Johnson’s conviction that one could embrace the novel, its artifices and opportunities for formal innovation, while rejecting "fiction," which he thought of as "lies."

In fact, the primary thing one has to come to terms with when considering Johnson’s work is this repeated insistence that he was "not interested in telling lies" in his novels, that "telling stories is telling lies." This seems the sort of colorful maxim that endures to run a victory lap around an artist’s grave, and it’s bothered the few critics who’ve cared to examine Johnson’s career. We have to travel to the heart of Johnson’s sense of truth if we aren’t to dismiss this dogged (and, if interpreted literally, imperfect) refusal as silly, naïve, or both. What did he mean by this? (…)

Johnson’s subversive suggestion is that we imagine Christie in our own image. By the end, when Johnson pulls the plug ("Surely no reader will wish me to invent anything further, surely he or she can extrapolate only too easily from what has gone before?"), afflicting Christie with metastasized cancer, we have become quite fond of Christie and all aspects of his strangely fulfilling life of ill will. It sounds like fun, and Christie’s murderous rationale is disturbingly persuasive: ". . . society saw that human life was in fact a very inexpensive, plentiful and easily-disposable asset . . . Human life is cheap, dirt cheap, according to this society, judged by the way it acts, the only true test, saw Christie, despite its pious mouthings." Similarly, at the conclusion of House Mother Normal, House Mother delivers a devastating monologue that both rationalizes and convincingly exculpates her behavior, concluding: "I did not invent this system: I inherited it."

Christopher Sorrentino



Chalut

Après " R.A.S. Infirmière-chef " et " Christie Malry règle ses comptes ", voici " Chalut ", un voyage cathartique illustrant le credo esthétique de B.S. Johnson selon lequel ce n'est pas l'imagination qui est à l'origine de l'oeuvre, mais le culte de la vérité.
On connaissait la régénération par l'onde et le sel, du baptême, mais pas cette forme d'exorcisme conjuguant l'exploration de notre mer intérieure à une véritable odyssée maritime. C'est pourtant ce que nous propose B.S. Jonhson dans Chalut, son troisième roman après Travelling people (1962), et Albert Angelo (1964) publié en 1966 mais dont la conception remonterait aux années 61-62. Souhaitant comprendre la nature de ses angoisses et l'origine de son isolement, Johnson imagine alors d'écrire ce roman de soi en se coupant le plus possible de tout ce qu'il a connu jusqu'ici.

C'est ce qu'il fera en 1963, à 30 ans, en embarquant sur un chalutier en partance pour une campagne de pêche en mer de Barents. " C'est pour ça que je suis ici, filer les mailles étroites du chalut de mon esprit dans le vaste océan de mon passé ". Vingt-trois jours d'enfermement vécus, pour l'essentiel, allongé sur la couchette d'une cabine. Vingt-trois jours d'un mal de mer que ne soulage aucune pilule " j'ai l'impression que mon estomac cherche à se retourner de lui-même, à se projeter vers le haut, pour s'éjecter à l'air libre hors de mon corps frissonnant ". Vingt-trois jours pour faire le point, tenter de faire le tour d'un mal de vivre dont le mal de mer est la douloureuse métaphore. Vingt-trois jours d'un incessant monologue intérieur régulièrement rythmé par le " CRAANGK !... " de la remontée du chalut, et quelquefois interrompu par des pauses descriptives correspondant aux rares apparitions du " plaisancier " sur le pont. Véritable mise à nu des expériences fondatrices, qui est aussi un défi à la mémoire. " Je dois repenser à tout ça, me souvenir de chaque détail, il faut absolument que je sois exhaustif, sinon je risque de ne rien comprendre du tout, je n'aurai aucune chance de comprendre, et c'est ce que je désire plus que tout ". Désir de tout dire, envers et contre l'esprit, qui met tout en oeuvre " pour oublier ce qui fait souffrir, ce qui l'a fait souffrir, ce qui l'a menacé au plus haut point, pour ne pas dire anéanti ". (…)

Richard Blin



« Trawl » de B.S. Johnson

Tout le monde, outre Manche, connaît Brian Stanley Johnson, cet obsédé de l’expérimentation qui, en son temps, tint la dragée haute à Beckett et aux praticiens du nouveau roman. La plupart des anthologies ou des ouvrages généraux consacrés à la littérature britannique du 20e siècle dignes de ce nom lui réservent une place de choix au chapitre des excès métafictionnels et, plus largement, expérimentaux. Johnson est en effet, sous la plume d’Allan Massie, « the most interesting of the English experimentalists » (Massie 3), alors que Malcolm Bradbury envisage ses récits sous l’angle de l’anti-roman et en évalue l’apport en termes de résistance au récit linéaire, véritable réponse littéraire à un âge chaotique (Bradbury 344, 364). David Lodge a été l’un des premiers critiques universitaires à se pencher sur sa production, soulignant le caractère résolument expérimentaliste de son œuvre ainsi que l’irréductible affouillement éthique qui la caractérise (Lodge 1971, 12-13) ou encore louant Johnson pour son introduction méthodique de l’aléatoire dans le roman contemporain (il s’appuie sur The Unfortunates, texte de 1969 présenté sous forme de coffret recelant une série de chapitres indépendants que le lecteur était libre de classer à sa guise [1]) (Lodge1977, 235). Patricia Waugh s’est quant à elle intéressée aux influences shandyennes et joyciennes telles qu’elles apparaissent dans son premier roman, Travelling People (Waugh 1984, 25), au culte de la personnalité johnsonien (aux antipodes du dogme moderniste de l’impersonnel [Waugh 1984, 131] [2]), et surtout au désir obsessionnel de briser le mensonge de la fiction pour promouvoir une œuvre fondée sur la vérité : « Johnson’s entire œuvre was driven but limited by an obsessive desire to break out of fictionality and into a final correspondence of word with world. » (Waugh 1995, 131) Il serait oiseux de multiplier les références, mais il convient de retenir qu’elles s’accordent (sur le mode exclamatif) à souligner la détermination de Johnson à favoriser des récits expérimentaux qui, bien que classés dans la catégorie « romans », s’attachent à dénoncer l’illusion de la fiction et à revendiquer un accès au vrai. B.S. Johnson, que tout le monde connaît sans plus vraiment le connaître et qui est passé à la postérité comme monomaniaque impénitent, tout entier attaché à une idée fixe qui a tracé l’unique sillon de sa carrière.

Jean-Michel Ganteau



Christie Marly règle ses comptes

Dans un roman ahurissant, B.S. Johnson raconte les fantaisies insurrectionnelles d'un comptable de l'existence.

Le système " dit de la Partie Double " réveille, dans son énoncé, le souvenir de ces après-midi épuisants, sacrifiés au labour de parcelles de terre battue ou de gazon pelé. La partie en double était une manière confortable de réduire de moitié la surface à besogner ; en somme une pratique comptable. Les raquettes aux cordes aphones somnolent à présent dans les greniers, et les tennismen de naguère vieillissent en se réchauffant les artères à la pétanque. Pire encore : ils apprennent que le système " dit de la Partie Double ", qui légiféra leurs réjouissances sportives, n'est d'aucun secours pour les joueurs courbaturés : il fut inventé par des marchands florentins au XVe siècle. Codifiée par le bénédictin Fra Luca Bartolomeo dans un traité édité en 1494, " Suma de Arithmetica Geometria Proportioni et Proportionalità " (Balles neuves !...), la " Partie Double " est un délassement de facturier. L'esprit civil accède difficilement aux sinuosités de cette technique de comptabilité, adoptée pourtant par le personnage de B.S. Johnson, Christie Malry, pour charpenter son existence.


Modeste employé de banque (" La voie la plus bénéfique serait, en toute probabilité, de se tenir près de l'argent, ou tout du moins, non loin de ceux qui le produisaient "), puis comptable dans une fabrique de bonbons et de gâteaux, Christie décide de recourir à ce principe d'économie pour équilibrer sa vie : il note scrupuleusement les préjudices subis (Débit) et les compensations perçues (Crédit). Au fil des jours, ce trésorier du quotidien administre sournoisement son compte : l'envoi de lettres anonymes le rémunère de son exploitation salariale, des carnages (" Mort de 20 479 innocents Crédit : 26 622 ") le dédommagent de la perte de ses illusions (" Aucune chance offerte au socialisme Débit : 311 398 ")... Féroce et caustique, le roman Christie Malry règle ses comptes, édité en 1973 en Angleterre, livre en quelque sorte les reçus de ce règlement de comptes avec la société capitaliste. Ultime ouvrage paru du vivant de l'écrivain anglais Bryan Stanley Jonhson, qui se suicida le 13 novembre 1973, dix ans après la publication de son premier roman (Travelling People, 1963), ce récit dévaste les formes romanesques traditionnelles. Dans une alternance de chapitres (" Chapitre raté ", " En Aucun Cas Le Chapitre Le Plus Long de ce Roman ", etc.), il se veut un défi à la fiction normalisée. Admirateur de Joyce, Sterne et Beckett, B.S. Johnson harcèle ses personnages, les prévenant d'emblée de leur caractère factice, illusoire : " Christie, l'avertissais-je, il me paraît impossible de poursuivre ce roman. J'en suis désolé. Ne soyez pas désolé, dit Christie gentiment, ne soyez pas désolé. Nous n'en sommes point à confondre quantité et qualité, n'est-ce pas ? " Persuadé de la défaite des procédés de narration hérités du XIXe siècle, dérivant d'une approche " anachronique, illégitime, déplacée et absurde ", B.S. Johnson, l'auteur de R.A.S Infirmière-Chef, une comédie gériatrique (Quidam éditeur, 2003), use des contre-pieds et des amortis. Il s'autorisa dans The Unfortunates (1969) à découper son récit en vingt-sept cahiers non-numérotés, destinés à être lus dans n'importe quel ordre, ou à agrémenter de trous les pages de Albert Angelo (1964) afin d'aider le lecteur à parvenir plus rapidement à la suite du récit !


Romancier indiscipliné, B.S. Johnson ressemble à ces joueurs de tennis, à l'étroit sur les courts, qui déplaceraient les lignes à leur convenance. Sa littérature est un échange de balles.

Pascal Paillardet



 R.A.S. infirmière-chef

Dans la lignée de Joyce et de Beckett, la rumination lente et soliloquée des pensionnaires d'une maison de retraite. Féroce et hilarant B. S. Johnson, qui se suicida en 1973.



"Comédie gériatrique" indique la couverture. Sauf qu'une comédie est censée déboucher sur une fin heureuse... Alors on songe à cette réflexion de Beckett dans L'Innommable : "C'est le commencement qui est le pire, puis le milieu, puis la fin, à la fin c'est la fin qui est le pire". Nous sommes dans une maison de retraite. Ils sont huit, huit vieillards menés à la baguette par une infirmière-chef despotique, vénale et quelque peu lubrique. Huit, nus devant des loups. On ne connaît d'eux que ce qu'en dit la fiche qui les présente : nom, âge, état de leur cinq sens et note obtenue à un test de sénilité correspondant au nombre de réponses exactes données à dix questions du genre "Où êtes-vous actuellement? Comment s'appelle cet endroit? Quel jour sommes-nous? (...) Quel âge avez-vous? Quelle est votre jour de naissance? En quelle année êtes-vous né(e)?..."


Chaque pensionnaire a droit au même traitement romanesque. Une séquence de vingt-et-une pages qui se déroule suivant la même chronologie. Chacun d'entre eux mange, chante, travaille, joue, fait un peu d'exercice, participe à une sorte de joute, et pour finir assiste au numéro de divertissement proposé par l'Infirmière-Chef en personne. Est ainsi mis en scène le processus intérieur ou le film mental -fait de sensations, de réminiscences, et de réactions plus ou moins épidermiques -déclenché par chacune des activités. En des monologues qui tiennent autant du soliloque que de la divagation, c'est à des déménagements d'âme qu'on assiste, à de la distillation de cancans, à des soldes avant fermeture totale, le tout sur fond de nostalgie amoureuse, de miasmes intimes, d'avanie ou de résurgences qui font la part belle aux désirs comme aux malheurs qui mûrissent le coeur. Tout ça clapote -entre plainte et beauté délabrée, routine et cruauté- dans un humour noir qui permet d'échapper au pathos nihiliste, tout en renforçant l'impact du ton lyrico-gâteux de ces tourbillons en bordure d'abîme, qui font parfois frémir tant se devine, ou s'affiche, le sadisme latent qui les sous-tend.


Ce dispositif, qui permet de multiplier les reprises, les variations, les jeux d'échos et de réverbérations, présente l'avantage d'agir à la manière d'un miroir tout à la fois déformant et exact où de pitoyables pantins, prisonniers de leur hébétude, parlent, pensent, évoluent -quand ils le peuvent encore-, sous la férule d'une Infirmière-Chef, véritable maître de cérémonie, n'aimant que son chien et n'hésitant pas à reconnaître qu'elle les dégoûte "afin qu'ils ne soient point dégoûtés par eux-mêmes. Je suis dégoûtante envers eux afin de rendre leur dégoût plus objectif, afin de le diriger à l'extérieur d'eux-mêmes".


Typographiquement -et il faut souligner ce petit tour de force de la part d'une toute jeune maison d'édition-, la mise en page s'adapte aux morsures lentes de la dégradation physique, rend visible cette dissolution qui, passant par la perte de la mémoire, de l'audition ou de la vue, s'apparente à une inexorable marche au blanc, qui n'est en somme que la préfiguration du grand trou noir.


Cinquième roman de l'écrivain anglais Brian Stanley Johnson (1933-1973), R.A.S. Infirmière-Chef, qui date de 1971, est, dans sa forme comme dans son sujet, un livre hors-norme qui tient de la grande épave démâtée livrée au roulis fantasque de la rumination sénile. Une écriture à haute voix dont le phrasé louvoie entre rire et cynisme, décrépitude et aliénation. Un roman qui, osant regarder en face le mal de finir, le fait sans complaisance mais avec cet humour dont on a dit qu'il était la politesse du désespoir.


Un livre qui pourrait illustrer la boutade de Tristan Bernard disant que "la mort, c'est la fin d'un monologue".

Richard Blin



Albert Angelo

Typique de ce que sera son univers, le deuxième roman de l'écrivain anglais offre ce mélange d'exigence et de douce folie.

Loin des automatismes hérités de la tradition, le roman tel que le conçoit Brian Stanley Johnson (1933-1973), relève essentiellement de l'expérimental et d'un désir obsessionnel de dénoncer les mensonges de la fiction. Le roman doit être vérité, doit témoigner d'expériences tangibles. " J'essaie de dire quelque chose pas de raconter une histoire raconter des histoires c'est raconter des mensonges et je veux dire la vérité sur moi sur mon expérience (...), sur l'écriture et sur le fait qu'il n'y a aucune réponse à la solitude et au manque d'amour ". Dans Alberto Angelo (1964), son deuxième roman - mais le quatrième publié par Quidam après R.A.S. Infirmière-Chef (Lmda N° 43), Christie Malry règle ses comptes (Lmda N°53) et Chalut (Lmda n° 85), qu'essaie donc de nous dire B.S. Johnson à travers Albert, un architecte de 28 ans, vivant à Londres, concevant des bâtiments pour la beauté du geste et contraint de gagner sa vie en exerçant le métier de professeur remplaçant ?


Qu'il est bien douloureux de vivre sous l'emprise du souvenir d'un amour mort. Qu'il semble de l'intérêt de l'État de sous-éduquer des enfants tant le climat et les conditions de travail qui règnent dans certains établissements sont délétères. Qu'écrire est le moyen qu'il a élu pour tenter d'exorciser les contradictions et la complexité des êtres qui l'habitent. Que pour reproduire le morcellement d'une telle vie, il faut renoncer au récit linéaire, choisir un dispositif narratif multipliant les voix et les points de vue, mêlant les formes et les genres, et sollicitant toutes les ressources de l'art typographique, jusqu'à trouer la page, ménager en elle des fenêtres permettant de voir le futur. Une mise en déroute de toutes les orthodoxies, qui tient du portrait à la Picasso, de la volonté de ramener le plan à mille facettes, de jouer des formes pour produire des effets de rupture et de concomitance proche de la polyphonie du réel. Développer un style intensif capable de rendre au mieux le carrousel des perceptions et des émotions. Cadrer, découper, mettre en échos, emboîter les présents, l'actuel et l'ancien, ouvrir des perspectives sur l'espace du dedans, les pensées flottantes, les associations d'idées pour coller au mieux au mode d'être de son héros.


C'est un combat qu'on lit, celui de la mise à mort - ici symboliquement orchestrée par ses élèves - d'un incompris vivant dans une sorte d'insupportable entre-deux et dont la vie s'émiette à l'instar de l'image clownesque qu'il donne de lui et de ses élèves. " Yeux bleus, fixes, bouche en boîte aux lettres, oreilles décollées comme des portières grandes ouvertes ".


Entre répliques à l'emporte-rire, et digressions saugrenues - qui pouvait bien être celui qui a eu l'idée de mettre une anse à une tasse ? -, c'est à sa vie qu'Albert cherche à donner un peu de dignité. Comme B.S. Johnson, refusant que le langage perde sa transparence au réel, et flambant la sienne au jazz. " Le jazz, quand j'y pense, c'est ce qui m'a permis de comprendre pour la première fois ce que l'art voulait dire (...). J'imagine que ça conditionne le sens esthétique de manière particulière ". Un blues lancinant, chauffé à blanc, traversé d'éclairs noirs, d'aveux prémonitoires aussi. " Dans la vie, du mieux possible, il faut que j'écrive, il faut que je dise la vérité, pas le choix, même si c'est aussi un supplice, que d'écrire pour passer le temps dont j'ai trop, le temps dont j'ai plus qu'assez, car pour moi la fin ne viendra jamais assez vite, tant que ce n'est pas moi qui la provoque. " Neuf ans plus tard il se suicidera, à 40 ans.

Richard Blin